Chapitre 1 : Oubli

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Au coffee shop, Londres, 2013

— Pourquoi tes grands parents ont quitté la Chine ?

— Par contrainte économique, je crois. Je n’en sais pas beaucoup plus. Mes parents ne m’en ont jamais vraiment parlé. 

— Tu ne leur as jamais posé la question?

— Si, mais ils ont toujours été assez évasifs. Je ne connais pas grand-chose de leur vie au Cambodge et encore moins de ce qui l’a précédée. À vrai dire, je pense que mes parents eux-mêmes n’en savent pas beaucoup. Et ils n’ont jamais pris la peine de me partager ce peu là. 

— Ah oui ? Pourquoi ?

— Je n’en sais rien. Peut-être parce qu’ils ne jugent pas important que j’en sache davantage. Ou bien qu’ils préfèrent m’épargner certains détails qu’ils jugent difficiles. Ou encore parce qu’ils croient mieux me protéger comme ça ? 

— Te protéger de quoi ?

— C’est bien la question…

* * *

Les générations se succèdent et les souvenirs s’estompent. Ce phénomène si commun semble s’accélérer à proportion de la distance qui les sépare et de la violence qui la provoque. Car à vouloir oublier les moments douloureux, on en vient parfois à tout oublier. 

La douleur de mes parents, c’est celle d’une fracture datée de 1975, année de la prise de Phnom Penh par les Khmers Rouges. Ce qui leur a été arraché dépasse largement les sphères de leur patrimoine matériel. C’est de leurs familles et de leurs histoires dont ils ont été dépossédés. La confiscation de leurs maisons et de ce qui s’y trouvait (papiers d’identité, photos de famille, journaux intimes, bibelots et autres témoins d’une existence vécue), comme celle d’un pan entier de leurs vies, ont abîmé à jamais leur mémoire. Un traumatisme physique et émotionnel qui pour longtemps les privera de l’envie et des supports à même de leur rappeler à leur vie au Cambodge. C’est sur cette base faite de flou et d’oubli que démarre mon récit.

Mes parents rejoignent la France en tant que réfugiés politiques à la fin des années 70s. Un moment pivot, après des années de guerre, de camps de travail et d’exil, qui marque le début de leurs nouvelles vies et conditionne l’apparition de la mienne. Le cours des choses, le hasard des vies et les politiques d’accueil héritées d’une histoire coloniale me permettent de naître et de naître Française. 

Je grandis avec mon frère, mes parents et ma grand mère maternelle dans un appartement d’une tour bétonnée. Il n’y a rien dans notre mobilier préfabriqué, rien dans mon paysage de bitume, qui puisse me rattacher à leur histoire. Je vis dans l’instant présent, comme les enfants savent si bien le faire, sans me douter que le passé m’est en fait interdit.  

Dans ce cocon familial reconstitué, mes grands parents font figure de grands absents. Leurs parcours, leurs envies, leurs rêves, leurs loisirs, leurs visages jusqu’à leurs noms - tout ou presque m’est inconnu. Cette mise à distance n’est pas simplement de celles qui trop naturellement séparent les générations. Elle est orchestrée. Mes parents évitent soigneusement de mentionner leurs vies antérieures et les questions soulevées par ma curiosité grandissante sont le plus souvent laissées sans réponse. Si je m’en tiens aux souvenirs mis à ma portée, la vie de mes parents débute peu ou prou en France à la naissance de mon grand frère en 1984. Le reste n’est que silence. Espèrent-ils me garder étrangère à la violence qui a teinté leur histoire? Veulent-ils s’épargner l’obligation de raviver des souvenirs trop douloureux? L’oubli est en tout cas rigoureusement entretenu et il me semble n’avoir aucun accès à mon histoire familiale, tant dans ses épisodes les plus tragiques, que dans ses épisodes les plus heureux. 

Je ne peux me fier qu’à quelques sursauts pour me rappeler que mes parents ont bien été les protagonistes d’une histoire autre que celle qui m’est donnée à voir. Il arrive en effet que surgissent dans les moments les plus inattendus, quelques bribes de passé. Des témoignages précieux, dont la banalité de ton n’a d’égale que la brutalité des propos. « Je n’ai plus faim. Tu sais, sous Pol Pot, il m’arrivait souvent de ne manger qu’une cuillère de riz par jour. Là, j’avais vraiment faim. Tu as fini ? Je peux débarrasser ? ». C’est furtif. Trop pour que je trouve les mots justes pour rebondir, pour approfondir, pour me laisser une chance d’enfin savoir. Ces occasions manquées, couplées au silence d’autorité auraient du me faire grandir à l’abri d’un passé jugé trop encombrant. Mais, c’était sans compter la ténacité du passé et tous les mécanismes de transfert qui se font l’économie de mots.  

Je grandis habitée du silence dans lequel mes parents enferment leurs histoires, tandis que s’ancre progressivement la sensation que mon présent est en fait conditionné par le passé. La familiarité éprouvée au contact d’environnements qui me sont pourtant inédits, la colère démesurée qui accompagne mes combats ou encore le trop d’ardeur avec lequel je mène mes quêtes, me confortent toujours un peu plus dans ce ressenti. Ce n’est qu’à mes 25 ans, au moment où je découvre l’épigénétique et la psychogénéalogie, que je parviens à mettre des mots et une rationalité derrière ce qui n’était alors qu’une désagréable intuition. Je découvre le concept du lègue affectif, cet héritage psychique qui façonne les générations par lignées et que les guerres, génocides et exils encombrent de tout leur poids. Je comprends les ressorts par lesquels les traumas se transmettent d’une génération à l’autre par-delà de l’explicite. Je réalise par la même occasion que les non-dits et les ellipses sont de bien faibles remparts contre ces souffrances intériorisées et que pire encore, ils tendent à agir comme autant d’amplificateurs. Je décide dans le même temps d’investiguer le passé dans l’espoir d’y trouver un remède contre les maux présents. Affronter mon histoire pour assainir le futur, mettre les mots pour mettre de la distance, se souvenir pour ne plus subir. Et ainsi démarre, ma quête d’identité.

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Zhe Ling / 薛之琳

32 ans. 3 cultures. 2 nationalités. 1 recueil. Sa vie est à l’image de ces chroniques. Bâtarde et en cours de réalisation.
À propos de l’autrice