Chapitre 12 : Frontière

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Chez mes parents, Paris, 1999

— Papa, je peux dormir chez ma copine, ce week-end? Elle fait une soirée pyjama chez elle !

— Non, une fille de ton âge, ça ne dort pas en dehors de chez ses parents.

— Mais tout le monde y va !

— Tu n’iras pas, c’est tout. Ce ne sont pas des manières pour une jeune fille que de découcher.

— Mais elle habite à cinq minutes de la maison ! Et les autres filles, elles le font bien elles ! Leurs parents ne disent rien !

— Ce que les autres font ne nous regardent pas. Toi en tout cas, tu n’iras pas.

* * *

Si l’immigration est sélective, l’intégration l’est tout autant. À chacun de choisir quels codes il est nécessaire d’adopter et ceux qu'il est préférable d’ignorer. La famille nouvellement installée se livre avec une souplesse périlleuse au dessin de cet équilibre fragile. Elle importe dans le pays qui l’accueille les systèmes de valeurs qui lui sont propres, ceux qui l’ont façonnée, en vue d'à son tour les inculquer. Le transfert ainsi orchestré vise à garantir la continuité familiale dans un contexte marqué par l’exil et la rupture. Il lui faudra toutefois composer avec le besoin d’intégration et dépasser les contradictions présumées inconciliables. Ainsi apparaissent les compromis qui oscillent entre continuité et adaptation, penchant selon le contexte et la période, tantôt vers l’un, tantôt vers l’autre.  

A mes yeux d'adolescente, cette dichotomie paraissait teintée d’hypocrisie. L'exigence de réussite scolaire à laquelle je devais me résoudre n'était en rien récompensée par les récréations usuelles des filles de mon âge. Dans ce jeu à somme nulle, j'étais perdante sur tous les plans. Mon intégration à deux vitesses était devenue ma plus grande source d'agacement. Je souffrais de ne pas jouir des mêmes droits que mes camarades et imputais la responsabilité de cette injustice à mes origines immigrées.

Le monde se réduisait à une cruelle dualité. D’un côté, un monde “blanc” empreint de libertés et ouvert sur la modernité. De l’autre, un monde “de couleurs”, traditionnel et conservateur - celui-là même auquel j’appartenais. Le binarisme ne permet pas l'entre-deux. Soit on en est, soit on n’en est pas. L'objectif consistait à rejoindre le plus avantageux des deux camps. Celui qu'habitent les figures de magazines, celui dans lequel le cool proscrit l’austérité et le trop plein de discipline. Il aura suffi de quelques occasions manquées, comme une nuitée entre copines ratée, pour que s'ancre mon rêve de duplicité : devenir plus blanche que blanche. C'était encore le meilleur moyen de conquérir ma liberté : délaisser le conservatisme archaïque et basculer enfin dans la bonne partie du monde.

Pour parfaire ma stratégie, je mis sous couvert mon passé immigré et ma culture héritée. Ce que j’ignore à ce moment-là, c’est que s’établissent par cette résolution les fondations d'un grand regret. À me plier si bien à la démarche, j’en oubliai mon histoire, mes souvenirs et avec, une fondamentale partie de mon identité. Le désir d’intégration avait créé une fêlure - une brèche faite de représentations fantasmées.

Les années m'apprendront que le monde “blanc” que je m'étais imaginé n'était pas si homogène que ce que je m'étais plu à rêver. Il m'apparaissait sous une vérité plus nuancée, qui finissait par rendre visibles ses contradictions, ses paradoxes et ses incohérences. Je compris que ma vision manichéenne était erronée. Je compris que tradition ne rimait pas avec immigration, que leur respect n'était pas antagoniste au progrès. Je compris que ma volonté de devenir blanche dissimulait la peur de me voir rejetée. J'aspirais à l'appartenance - à celle qui petite, me reliait à mes blancs camarades, à celle qui adulte, me relierait aux vrais Français.

En m'enquérant des divergences qui traversent chaque culture, je pris conscience que différents systèmes de valeurs au lieu de se faire concurrence, pouvaient coexister. Que l'hypocrite double jeu que je soupçonnais, n’était autre que la création de repères singuliers. Que mon hybridation n'était pas une alternative au modèle français, mais qu’elle en était pleinement constitutive. Me sentir Française ne nécessite pas que je me conforme à un système homogène à vocation hégémonique, mais simplement que je m'affirme comme telle. Car si la France est réellement la France métisse que je vois et que je vis, alors il n’est rien de mieux pour appartenir à la France, que de faire place à mon hybridation plutôt que de l’étouffer.

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Zhe Ling / 薛之琳

32 ans. 3 cultures. 2 nationalités. 1 recueil. Sa vie est à l’image de ces chroniques. Bâtarde et en cours de réalisation.
À propos de l’autrice