Chapitre 14 : Pure Souche

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Chez une copine de classe, Paris, 1999

— C'est la première fois que tu viens à la maison, non? 

— Oui ! Merci pour l'invitation !

— Je t'en prie, c'est toujours un plaisir de faire connaissance avec les copines de ma fille ! Tu as des frères et sœurs ?

— Oui, un frère.

— Il s’appelle comment ?

— David.

— David - un prénom juif ?

— Euh oui ….

— Pourquoi tes parents ont choisi un prénom juif à ton frère ?

— Ils ont choisi un prénom qu’ils trouvaient joli j’imagine.

— C’est étrange quand même.

— Ça sonnait français pour eux, c’est tout.

— Je vois… Et quand tu es en cours d’histoire et que la prof te parle de châteaux forts, de rois,… c’est ton histoire à toi? Je veux dire, au-delà de porter un prénom français, TU TE SENS FRANÇAISE ?

* * *

Voilà comment en 4 mots seulement, il est possible d’ébranler les efforts de deux générations successives. Celle de mes parents et la mienne. Chacune empreinte de renoncements et de silencieuse labeur, chacune portée par l’espoir se faire sa place en France. Être née en France, y avoir fait ma vie ne suffiront donc jamais à me faire valoir Française. Serai-je ici toujours l’invitée en dépit des années passées? Combien de temps et d'efforts faudra-t-il encore pour ne plus avoir à tenir les comptes? Parlera-t-on de la 3e, 4e, 5e génération? L'accès au titre me semblait être conditionné davantage par mes traits, que par mon antériorité.

Si je m'en réfère à ce goûter, peut se revendiquer Français, celui qui éprouve avec l’histoire du pays une évidente familiarité. Des années après, avec le recul qui manque parfois à une enfant de 11 ans, je me demande si cette mère de famille dite de souche avait développé une connivence particulière avec donjons, douves et autres pont levis. Je m'amuse à l'imaginer sur les remparts de Carcassonne, seule en train de s'exclamer : « Voilà l’œuvre de mes ancêtres. Quelle fierté j’éprouve à appartenir à cette lignée ! ». Je n’ai jamais eu l’occasion de recroiser son chemin et m'a manqué l'opportunité de lui demander si elle se reliait de la même manière à la colonisation française, à la guerre d’Algérie ou encore à la France de Vichy. Considère-t-elle cette partie de l’histoire de France comme un héritage, dont les descendants de Gaulois – et eux seuls, peuvent se targuer? Attache-t-elle autant de véhémence et de soin à la revendication de cette exclusivité? Et s’il n’y avait pas que l’immigration qui était sélective? La mémoire collective semble également être chose flexible. Une chose est sûre, à en juger son comportement, ses choix vestimentaires et la composition de mon goûter, ni l’élégance, ni la mode, ni la gastronomie ne semblaient être les fleurons français dont elle souhaitait se faire l’ambassadrice.

Je garde de cet échange, une certaine perplexité. Aujourd’hui encore, je me surprends à me poser cette question, qui m’avait pourtant tant blessée. « Est-ce que je me sens Française? ». Puis, de rajouter à cette question, son corollaire : « Suis-je légitime pour me sentir Française? ». Et enfin, de conclure que la question, les questions étaient après tout peut-être mal posées. Ou du moins, que le raisonnement qui en sous-tendait les réponses, largement dépassé.

La notion d’identité telle qu'elle m'avait été présentée était une notion figée dans le temps (en l’occurrence, au Moyen-Âge), exempte de toute évolution possible. Comme s’il existait un socle immuable, un référentiel établi une fois pour toutes et pour tous, au regard duquel chacun pourrait évaluer son degré d’appartenance. La question adjacente à une telle hypothèse est de savoir quel moment choisir dans l’histoire pour en faire le repère. S’agit-il de la Gaule de Jules César, des rois de la monarchie française, des Lumières de la Renaissance ou encore de la révolution républicaine? Figer l’identité française dans le passé, c’est en fait nier l’évolution du pays, le développement de son histoire et la réalité de sa diversité. C’est aussi imposer un modèle dont seule une infime minorité peut se faire sincèrement l’ambassadrice et s’interdire d’enrichir le pays de toute nouvelle perspective.

(Oui, Madame !), je me sens Française, non pas tant parce que son histoire fait écho à la mienne, ni que je porte le prénom d’une sainte Chrétienne, mais parce que j’y suis fondamentalement attachée et qu'il n'y a nulle part où je me sente plus à ma place qu'ici. Que cela ne saurait être une réponse suffisante, j’en conviens volontiers. Mais que cela doive précéder une justification, plus jamais je n'y céderai.

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Zhe Ling / 薛之琳

32 ans. 3 cultures. 2 nationalités. 1 recueil. Sa vie est à l’image de ces chroniques. Bâtarde et en cours de réalisation.
À propos de l’autrice