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Au téléphone, Paris, 2015
— Tu vas à la manifestation ?
— Je voulais y aller, mais j’ai changé d’avis je crois…
— Ah bon, pourquoi ? Tu crains un débordement? Ou une récidive ?
— Non pas du tout, c’est juste que je me sens un peu contrariée.
— Dis moi ?
— Aussi sordide soit-il, ce n’est pas le premier attentat qu’on subit en France. Les juifs en ont vu passer un certain nombre rien que sur ces dernières années. Ça n’a pas déplacé les foules que je me souvienne.... Je ne dis pas que ce qui s’est passé cette semaine n’est pas effroyable. J’en suis aussi meurtrie que quiconque. Mais j’ai du mal à comprendre pourquoi les réactions sont aussi différentes. J’aurais aimé qu’un crime soit condamné de la même manière, quel que soit le motif invoqué par ceux qui les perpétuent : leur religion, leur couleur de peau, leurs dessins,… et que la mobilisation soit la même. J'ai simplement l'impression qu’il y a deux poids, deux mesures...
— Je comprends, mais bon je crois que c’est humain comme réaction. De se sentir plus concerné par certains crimes que par d’autres. Je ne pense pas qu’il faille l’interpréter comme de l’indifférence, encore moins comme une forme de tolérance. Je ne dis pas que c’est louable comme attitude, mais c’est compréhensible. Regarde par toi-même, tu n’es pas allée manifester contre les violences faites envers les asiat’ à Belleville. Et pour tout te dire, moi non plus d’ailleurs… Ça ne fait pas de nous des gens insensibles, enfin je crois...Allons à celle-ci, qu’est-ce que tu en dis ?
L’inscription de la laïcité et de la fraternité au coeur des valeurs françaises ne suffira jamais à protéger ses habitants d’attaques ciblées. Certaines d’entre elles se teinteront d’une violence inouïe. Au-delà de l’horreur qu'incarnent ces actes, c’est l’écart entre la réaction espérée et celle perçue qui fait naître parmi la communauté visée une insatiable colère. À défaut d’une réponse politique d’envergure ou d’une couverture médiatique significative, les attaques commises envers les minorités risquent d'échapper à la majorité. Il est probable que vous ayez connaissance des violences commises envers les communautés asiatiques, si vous les fréquentez. Des discriminations dont souffrent les populations maghrébines, si vos proches en sont issus. Des attaques faites à l’encontre des juifs, si vous en côtoyez. Dans le cas contraire, il est tout aussi probable que ces événements soient passés à vos yeux complètement inaperçus.
De cette asymétrie d’informations naissent les germes d’une sourde colère. Les réactions individuelles et collectives que ces exactions suscitent, sont pour les populations visées autant de mises à l’épreuve de l’égalité républicaine si fortement prônée. Malheureusement, l’émoi n’est pas toujours à la hauteur des espérances et force est de constater que l’ampleur du choc est souvent proportionnelle à la taille de la communauté concernée.
Quelle interprétation donner à ces disparités? Doit-on y voir des marques d’indifférence vis à vis de certaines populations? Témoignent-ils d'une solidarité spontanée envers ceux qui nous ressemblent? Ou s’agit-il de dégâts collatéraux d’un système d’informations mal ajusté?
Si l’intensité de la couverture médiatique ne saurait expliquer à elle seule la variabilité des attitudes, je crois qu’elle n’en reste pas moins un amplificateur de cette dernière. En choisissant de relater certains événements plutôt que d’autres, les médias ont le pouvoir d’influer la conscience collective et l’orientation que prendra l’engagement citoyen. L’accessibilité de l’information conditionne les prises de conscience et avec, les possibilités de mobilisation.
Ce postulat interroge la liberté dont disposent les médias pour choisir leurs sujets. Au royaume du clic et de la publicité, chacun est incité à produire du contenu attendu, renforçant l’écueil qui nous pousse à aller vers ce qui nous est familier. Le résultat? Une homogénéisation appauvrissante de l’information disponible et un renforcement des croyances, qui tous deux vont à l’encontre d’une représentativité objective et diverse. À l’inverse, un système médiatique plus libre et indépendant, moins soumis à l’audience et à l’immédiateté, redonnerait la latitude de découvrir et de s’intéresser à des sujets plus confidentiels, mais tout aussi majeurs. Avec une information mieux partagée, les causes des minorités passeraient peut-être moins inaperçues. La possibilité d’une compassion sincère envers tous commencerait donc par un traitement plus équitable des actualités.
L’équité ne concerne pas uniquement le nombre de minutes ou de pages consacrées à une thématique donnée, mais aussi les mots qui sont employés pour en relater. Comment ne pas s’offusquer face au différentiel de vocable utilisé pour désigner les criminels, tantôt qualifiés de “névrosés” ou de “terroristes”, selon qu’ils soient blancs ou non? Pourquoi cet écart de traitement entre deux êtres qui ont pour triste dénominateur commun de perpétrer un crime invoquant « la supériorité d’une race » ou « la suprématie d’une religion »?
J’ai la conviction que les mots influent grandement sur l’imaginaire collectif et qu’il relève d’une responsabilité sociétale de les employer à bon escient. Il est impératif de travailler à rendre l’information plus éthique, dans la manière dont elle est retranscrite et diffusée, et d’inciter chacun à adopter et à affiner son regard critique. Autrement dit, s’il revient à chacun de choisir ses propres combats, il est notre responsabilité à tous de travailler à un niveau de conscience plus élevé.
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