Chapitre 19 : Renversement

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Chez mes parents, Paris, 2016

— Vous faites quoi le week-end prochain ?

— Rien de spécial. À la maison. Comme d’habitude.

— Je vous emmène en week-end ! J’ai réservé un hôtel sympa à Saint-Malo. Ça vous fera prendre l’air un peu et sortir du quartier.

— Ah non, ce n’est pas la peine. On sait que tu es très occupée. Tu as déjà beaucoup de travail et tes amis à voir. Ne gaspille pas ton temps et ton argent. Mais c’est gentil d’y avoir pensé.

— Ça va ! Ça me fait plaisir et puis j’ai déjà réservé de toute façon.

— Vraiment ? Mais ce n’est vraiment pas la peine. Vas-y avec tes amis sinon.

— Mais non, n’importe quoi. Allez, ça va être sympa ! Je passe prendre la voiture samedi matin et on rentre dimanche en fin d’après-midi. Je conduirai.

— OK alors. Merci beaucoup d’avoir organisé tout ça !

— Heureusement que ta fille est là. Sinon, toi tu ne m’emmènerais nulle part et je resterais toujours coincée dans le quartier !

* * *

Question d’éducation. Question d’immigration. Probablement un mélange des deux. Le souci de donner juste retour aux générations passées semble traverser bon nombre de familles immigrées. Dans la culture chinoise, la relation aux anciennes générations est façonnée par la pensée confucianiste, selon laquelle "la piété filiale et le respect envers les supérieurs sont la racine de la vertu.". Il existait dans la Chine classique trois manquements aux règles fondamentales de la piété filiale (孝道 - xiào dào): le refus d’obéissance aux parents et aux aînés, la non-assistance matérielle aux ascendants et l'absence de descendance qui empêcherait la lignée familiale de se perpétuer. A contrario, le respect de ces préceptes était érigée comme la condition sinequanone à l'harmonie de la famille et plus largement à celle de la société. "Si la famille est harmonieuse, tout sera florissant". Le respect des anciens est resté un des piliers de cet héritage de pensée et se transmet aujourd'hui encore de génération en génération. J’en eus un témoignage dès mon plus jeune âge. 

Comme la majorité des familles chinoises, mes parents ont choisi d’héberger ma grand mère maternelle à domicile. L'accueil des grands-parents et le soin qu’on leur apporte font partie intégrante de ce devoir de famille. Il est ainsi commun de voir cohabiter trois générations successives sous un même toit. Les manifestations de respect dépassent d'ailleurs le simple royaume des vivants. Mes parents saisissent chaque commémoration funéraire comme l'occasion de rendre hommage à leurs aïeuls. Qu'importe la nature de la relation et le degré de proximité qu'ils entretenaient avec ces derniers - la révérence rendue est de l'ordre du devoir. Par mimétisme d’abord, par conviction ensuite, je me suis donnée pour principe coeur de perpétuer cet engagement. La volonté de prendre soin de ceux qui l’ont précédemment fait et d’être présente pour chacun des membres de ma famille est devenue constitutive de mon identité.

Si la culture chinoise est la source principale de cet élan, les méandres de mon histoire familiale en ont sans doute renforcé la portée. En prenant conscience des épreuves que nos parents avaient endurées, mon frère et moi avons implicitement fait nôtre la mission de les indemniser - aussi bien pour les récompenser des efforts qu’ils avaient accomplis, que pour les dédommager des douleurs qu’ils avaient subies. Comme s’il était possible de réparer des années de souffrance passées par des gestes d’amour présents. Nous n'y parviendrons pas complètement. La démarche n'en reste pas moins vertueuse, pour ce qu'elle apporte en moments de joie et en marques de reconnaissance.

L'approche aura beau être animée par une intention sincère, elle n'est pas pour autant exempte de maladresses. Il est peu aisé de cerner ce qui créera l’enthousiasme chez l'autre. Chacun tend à projeter ses propres désirs, ce qui inévitablement mènera à quelques manqués. Malheureusement pour moi, l’expression des envies personnelles et des besoins individuels n’est pas chose courante dans la culture chinoise. Mes parents n’y font pas exception. La pudeur leur a interdit de partager tout souhait qui leur soit propre, me contraignant ainsi à jouer de chance. 

Je me suis essayée à deviner ce qui pouvait leur faire plaisir, à déceler les voyages qu’ils rêvaient de faire, à dénicher les cadeaux qu’ils apprécieraient,... À force d’essais, de réussites et de déceptions, les tâtonnements m’ont permis de m'ajuster. Ma compréhension de leurs envies s’est affinée et mes propositions ont gagné en pertinence.

Après quelques années, je finis par réaliser que la tâche la plus difficile ne résidait pas tant dans la recherche du cadeau parfait, que dans la capacité à le leur faire accepter. Mes parents ont veillé à prioriser le bien-être de leurs enfants, au point d'en oublier leur propre bonheur. Comme si le second devait nécessairement venir au détriment du premier. Chaque présent devra systématiquement être assorti d’un écrin de négociation, pour qu’ils consentent à le recevoir. Le taux de succès sera variable. Aux rejets qu'il m'arrivera d'essuyer, je m’inclinerai avec une tristesse interdite. Car ce qui m’est ainsi refusé n'est pas simplement la joie de leur faire plaisir. C’est aussi et surtout, l’espoir de réduire l’écart qui nous sépare.

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Zhe Ling / 薛之琳

32 ans. 3 cultures. 2 nationalités. 1 recueil. Sa vie est à l’image de ces chroniques. Bâtarde et en cours de réalisation.
À propos de l’autrice