Chapitre 3 : Histoire(s)

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Chez mes parents, Paris, 2016

— Papa, maman, il y a un film sur le Cambodge qui vient de sortir au cinéma ! On peut y aller ensemble ! Ça vous dit ? 

— Peut-être. On verra.

— Je connais cette réponse. Quand vous dites peut-être, ça veut dire non. Allez ! Il passe juste à côté de la maison ! Cet après-midi !

— On a des courses à faire, on verra si on a le temps après.

— Mais vous pouvez faire les courses après la séance ou bien demain ? Ça a l’air intéressant, ça parle d’une ONG qui monte des écoles pour les enfants en difficulté.

— Crois-moi, j’en ai assez vu des difficultés au Cambodge. Je n’ai pas besoin d’un film pour me montrer ça.

* * *

Parmi les événements que mes parents souhaitent oublier se trouve en haut de liste le traitement que les Khmers Rouges ont fait subir à leur propre peuple. Et plus précisément à elle, ma famille. Les camps de travail, les séparations forcées, les exécutions, la faim,... Autant de souvenirs qu’ils se sont efforcés d’enfouir et d’oublier. Mais force est de constater que la mise à distance n’est jamais totalement acquise : l’amnésie se travaille. Un rien peut suffire à les ramener au souvenir des épreuves passées. Partout planent des menaces à même de rouvrir d’un coup, d’un seul des cicatrices ayant mis des années à se fermer. Les fantômes du passé guettent et se préparent à ressurgir à tout instant. Alors pour s’en protéger, la vigilance finit par devenir habitude, la fuite, réflexe et le silence, religion. L’oubli devient l’arme la plus efficace pour sa défense, en même temps que la fondation fragile et ambivalente d’un nouveau futur à construire.

Fidèles à cette stratégie, mes parents ont décidé d’éviter soigneusement tout ce qui était susceptible de leur rappeler ces épisodes d’antan. Les films, les livres et tout autre véhicule relatant les malheurs que le pays avait dû endurer, ont ainsi été bannis de la vie de famille. Pour leur bien-être, mais surtout - le jugeaient-ils probablement - pour celui de leurs enfants. Car après tout, quel intérêt il y a t il à ressasser son passé et à encombrer les autres de ses souvenirs ? Non, vraiment, il semblerait qu’il n’y en ait aucun. Le silence semblait être une solution toute trouvée pour se préserver de souffrances inutiles. Loin d’eux l’idée que ce vide pourrait devenir à son tour l’origine même d’un autre type de tourments. Je me rendis compte à l’adolescence, que le confort tout relatif qu’ils avaient gagné par le mutisme avait provoqué un certain déséquilibre dans ma construction. J’avais grandis amputée d’une partie de ma propre histoire et il me manquait l’ancrage dont bénéficient ceux qui savent d’où ils viennent.

En contrepartie, j’héritais de choses en trop. Trop de silences, trop de non-dits, trop d’interdits, trop de secrets. Les ondes de choc des événements passés continuaient à me parvenir et à me percuter, sans que j’arrive à en identifier clairement l’origine. Malgré l’absence de mots et d’images, les séquelles de notre histoire familiale étaient omniprésents et je souffrais de ne pouvoir les apaiser. 

Je partis à la recherche des repères historiques et identitaires pour combler le vide et vider le trop plein. La distance que j’avais avec les événements pour ne pas les avoir moi-même vécus, rendait l’introspection moins douloureuse que ce qu’elle aurait été si menée directement par mes parents. Il semblait à la fois logique et préférable, que ce travail me revienne. Le soin que mes parents avaient pris pour enfouir ces événements et la réticence qu’ils avaient à s’y replonger compliquaient mon travail. Leur stratégie systématique d’évitement rendait leurs souvenirs inaccessibles, ne me laissant d’autre choix que de recourir à des substituts pour reconstituer la trame de mon passé. Mon exploration se nourrit ainsi de films, de romans, d’histoires, de spectacles, de musique et de toutes les formes d’art sous lesquelles d’autres avaient cherché à exorciser leur passé. Je me plongeais au coeur de ces vies étrangères dans l’espoir d’en apprendre plus sur notre propre famille. 

J’ai maintes fois tenté d’associer mes parents à mes investigations, espérant que ces dernières puissent amorcer des discussions personnelles et s’enrichir d’une consistance plus intime. Les inviter à un film, les emmener au théâtre, leur raconter ma dernière lecture. La majorité de mes tentatives furent soldées par un échec. Je me heurtais à de multiples refus, enveloppés dans des excuses à la crédibilité et la franchise variables. Si je me devais de respecter leur silence et leur retrait, je restais néanmoins peinée de me voir refusé l’accès à leurs pensées et à notre réalité. Aussi éclairants soient-ils, les substituts n’ont pas la véracité de l’histoire originelle. 

Et ainsi, je persiste. L’effort n’est pas vain et l’enjeu vaut qu’on s’y emploie. Si mes parents se sont octroyés à juste titre le droit d’oublier, j’ai fait mien le devoir de mémoire. À l’échelle collective, il s’agit avant tout de se souvenir pour éviter que de telles atrocités puissent se reproduire. À l’échelle individuelle, c’est la possibilité d’un avenir apaisé et d’une sérénité fondée non sur le déni, mais sur l’acceptation qui se joue. Savoir d’où l’on vient, pour mieux aller vers là où l’on va.

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Zhe Ling / 薛之琳

32 ans. 3 cultures. 2 nationalités. 1 recueil. Sa vie est à l’image de ces chroniques. Bâtarde et en cours de réalisation.
À propos de l’autrice