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Au bureau, Paris 2014
— Mais tu as vécu dans combien de pays au juste ?!
— Quelques uns, à vrai dire ! République Tchèque, Allemagne, Australie, Singapour, pas mal de temps passé en Afrique Subsaharienne et plus récemment l’Albanie !
— Ah ouais, quand même ! Et alors, qu’est ce que tu as préféré ?
— Impossible de te répondre. Ça a été à chaque fois vraiment différent !
— En tout cas, t’en as de la chance. Tu comptes repartir bientôt ou tu te poses un peu en France?
— J’aimerais bien repartir, oui....
— Qu’est ce que tu cherches en partant ?
— L’étranger. Le fait d’être à l’étranger. Ou peut-être le fait d’être étrangère.
Au moins là bas ce n’est pas ambigu. C’est clair aux yeux de tous. Je ne suis pas du coin. Et je peux l’affirmer sans que cela éveille en moi une douleur piquante ou en eux un soupçon mensonger. Parmi les 197 pays qui composent ce globe, il y en a 194 dans lesquels je peux endosser ma non-appartenance sans avoir à en rougir. Tous à l’exception de la France, de la Chine et du Cambodge : ces pays qui me situent malgré moi dans un équivoque qu’on me somme de clarifier. Partout ailleurs, mon positionnement vis-à-vis du pays est d’une limpidité salutaire. Mon statut d’étrangère est acquis et ne requiert pas la moindre justification. Une évidence que ne m’offre aucun des trois pays qui composent mon histoire familiale et qui à l’inverse, entoure chacun de mes séjours tiers d’un écrin de confort.
La courbure de me yeux, comme les tonalités de mes phrases ne manqueront jamais de faire renaître la sempiternelle question: “Tu viens d’où ?”. De là suivront avec une assommante régularité, les répliques devenues depuis automatiques. “De France”. “Non, mais je veux dire, à l’origine? ”. “Je suis née en France, mais mes parents viennent d’Asie.” “Ah, d’accord.”.
Seulement, dans le pays qui n’est pas censé être le mien, la précision relève d’un enjeu de degrés, et non de catégories. Il ne s’agit pas de décider si je leur suis étrangère ou non (cela est déjà acté), mais plutôt d'éclairer la distance qui nous sépare. Il ne s'agit là que d’une coquette curiosité. Au fond, cela ne change rien que je sois Française, Chinoise ou Cambodgienne. Quoiqu'il arrive, je ne suis pas là-bas chez moi et sur cela, sans rancoeur, ni hésitation aucune, on s’accordera.
Chaque séjour à l’étranger, chaque vie que je commencerai ailleurs, chaque environnement que je m’amuserai à apprivoiser sera l’occasion d’une liberté, dont les pays qui sont pourtant les miens, ne cesseront de me priver. On ne m’attend pas là-bas. On n’attend rien de moi. Ni que je parle la langue du pays, ni que j’en maîtrise les codes, ni que j’en apprécie ses moindres coutumes. Chaque impair que je suis susceptible de commettre, chaque maladresse sera excusée, tolérée et non plus jugée comme la manifestation d’une incomplétude dont je serai coupable. On ne me reprochera jamais d’avoir oublié le pays, de l’avoir quitté ou de ne pas assez l’aimer. Je suis libre d’être tout à fait étrangère et le suis d'ailleurs tout à fait naturellement. Alors pour ne plus avoir à clarifier la situation, pour ne plus vivre dans l’ambivalence, pour ne plus défendre mon statut d’hybride, je choisirais parfois simplement de fuir et de partir. Me ranger sagement dans une des catégories que pourtant je m’étais plu à brouiller. Faire là bas ce que je n’arrive pas à faire ici. Prendre une fois pour toutes parti. Celui des autres.
Découvrez “Tout Ce Que Nous Sommes”, la version papier du blog “Enfant d’Immigrés”, assortie des magnifiques illustrations de la talentueuse Marine Barbaud.
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