Chapitre 32 : Miroir

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Au téléphone, Paris, 2014

— A quelle heure on les retrouve demain ?
— Il y a eu un petit changement de programme…
— Ah ? Ils préfèrent qu’on se voit dimanche ?
— Non plus...
— Je comprends pas..?
— Ils ont décidé d’annuler le rendez-vous. Je crois qu’ils ne sont pas encore prêts...
— Prêts pour quoi ?
— ...
— Prêts pour moi ?
— Je suis désolé...

* * *

Il existe plusieurs types de miroirs. Déformants, comme ceux des fêtes foraines. Flatteurs, comme ceux des cabines d’essayage. Énervants, comme dans les salles de bain. Effrayants, comme les dimanches matins. Utiles, comme ces rétroviseurs. Menteurs, comme ces réseaux sociaux. Exigeants, comme nos parents. Réconfortants, comme nos meilleurs amis. Et puis, il y a tous ces autres miroirs, ceux un peu moins polis qui reflètent la réalité d’une lumière crue. Des miroirs sans vernis qui comme une gifle vous percutent face première, avant que vous ne les ayez vu venir. J’en ai croisés quelques-uns sur mon chemin, ou plutôt ils sont venus à moi. Je ne le regrette pas. La gifle présente l’avantage de vous faire tourner la tête d’un virage sec. Plus la frappe est violente, plus l’angle est important. Plus elle est vive, plus la perspective s’élargit. Tout cet horizon auquel nous, filant droit sur notre route, n’avions jamais prêté attention, s’offre soudain à nos yeux. La gifle : créatrice de points de vue inédits. Pour moi, c’est comme ça que tout a commencé. 108° vers l’Est.

Je n’avais bien sûr pas attendu ce moment pour réaliser que j’étais asiatique. Mille indices m’ont sans cesse rappelée à cette réalité. Les traits de mon visage. Ceux de ma famille. L’appartement dans lequel j’ai grandi. Tous les objets anodins qui en ont fait le décor. Ce calendrier fait de 365 feuilles buvard, cette télé bloquée sur CCTV, ce rice cooker en vapeur continue, ces livres recouverts de mandarin. Et mon quotidien autrement routinier : les courses chez Tang, les tables rondes des restaurants, l’encens à la pagode.  

Je m’étais pour autant toujours considérée Française. Pas pure souche, mais Française malgré tout. Assez en tout cas pour me mêler au cercle de ceux qui en sont. J’avais rempli mon contrat de réussite scolaire, tenu ma promesse d'ascenseur social, avait fait tout ce qu’il fallait pour justifier ma place. Pire encore. Je n’avais même pas conscience qu’il fallait que je la justifie. Je me croyais intégrée par essence, comme si en plus de ma nationalité, le droit du sang m’avait donné ma légitimité. Mes parents avaient tout mis en oeuvre pour la rendre aussi naturelle, qu’inattaquable. Leur plan avait échoué. La mise à distance qu’on me reflétait montrait non seulement que j’avais à défendre ma place, mais surtout que je n’y étais pas encore parvenue.

La réserve émise à mon égard résonnait en moi comme un échec d’intégration. L’incrédulité laissa place à la colère, puis à la tristesse. L’incrédulité d’abord : je n’arrivais pas à croire que ce qui était en train d’arriver, m’arrivait à moi. Moi, la bonne élève. Moi, la parisienne. Moi, la fierté féminine de la famille. Qu’ai-je bien pu rater pour mériter ça? La colère ensuite : quelle injustice. Ma valeur serait donc déterminée par la couleur de ma peau? N’y a-t-il rien d’autre qui puisse me définir? La tristesse, enfin. La peine d’un rejet et l’amertume d’une réussite manquée. J’étais bouleversée de voir aussi mal récompensés les sacrifices auxquels mes parents avaient consentis pour que jamais une telle situation ne vienne à moi. Et par dessus tout, terrifiée de l’interprétation que mes parents auraient pu avoir de cette distanciation. Tout ça pour ça.

Mes émotions s’étaient emballées, mais mes peurs n’étaient pas fondées. Mes parents n’ont pas fait un cas personnel de cette réserve. Ils étaient assurés d’avoir fait ce qu’il fallait en termes d’intégration et ils avaient raison. Leur calme inébranlable me renvoyait à mon intempérance. L’important n’était pas tant de prouver ma valeur, que d’en être moi-même convaincue.

À mon envie première de crier que j’étais Française comme toute autre se sont substitués la volonté d’assumer mon double héritage et le désir de le partager. La brutalité du choc reçu avait laissé place à la promesse fascinante d’une quête à venir. La prise de conscience de mon altérité, ou plutôt de mes spécificités, portait en elle les fondements d’une redécouverte et d’une réconciliation avec la partie de moi trop longtemps délaissée. Elle marqua le début de mon chemin d’introspection, celui là même qui me fait écrire ces mots. Ainsi, aussi paradoxal que cela puisse sembler, j’éprouve envers toutes ces gifles, une gratitude infinie.

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Zhe Ling / 薛之琳

32 ans. 3 cultures. 2 nationalités. 1 recueil. Sa vie est à l’image de ces chroniques. Bâtarde et en cours de réalisation.
À propos de l’autrice