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Partout, Tout le temps
— Tu connaitrais un bon médecin Chinois ?
— Tu as un petit boui-boui asiatique à me recommander ? un truc bien local ?
— Tu sais où je peux trouver du chou kale et un bok choi ?
— C’est quoi le coin sympa à visiter en Chine ?
— Tu me conseilles d’aller où pour acheter une robe chinoise ?
— C’est quoi le signe astrologique chinois de l’année ? C’est bien ou pas ?
— Tu crois que l’appart est feng shui ?
— Tu recommandes le dernier Wang Bing ?
L’ironie, c’est que je suis probablement la mieux renseignée pour répondre à chacune de ces questions. Le paradoxe, c’est que malgré les années, je ne sais toujours pas comment m'y prendre. Entre irritation et orgueil, mon coeur balance. Au choix : “Enfin ! Arrête de me prendre pour un annuaire asiatique!” ou bien “Enfin ! Il était temps qu'on regarde au-delà des chinoiseries.”. Enfin, bref, je ne sais pas.
L’accueil que je réserve aux demandes semble davantage dépendre de l’intention que je devine chez l'autre, que du sujet auquel elles ont trait. Si je partage volontiers mes recommandations à celui qui me sollicite au hasard des discussions, j'avoue perdre vite patience face à celui qui me réduit à mes origines. Alors que la bienséance me somme de répondre, je me sens tiraillée entre l’envie de défendre la cause d’une culture chinoise plus authentique et le besoin de faire réaliser à l’autre, son raccourci de pensée.
Aussi attendues soient-elles, ces demandes contribuent à me légitimer comme héritière d’une culture dont je me sens parfois dépossédée et m'enveloppent de la sensation réconfortante de pouvoir un peu mieux l’incarner. Qu’importe si je suis capable d’y répondre ou non - on peut être d’origine chinoise et connaître la médecine moderne mieux que la médecine traditionnelle, l’Amérique latine mieux que l’Asie -, l’échange n'en reste pas moins pourvu d’intérêt.
Les clichés à l'origine de ces requêtes m’amèneront à questionner les liens que j’entretiens avec les cultures auxquelles on m'attache, et selon que j'y adhère ou non, de progresser dans la définition de ce que je considère faire mon identité. Dans les cas les plus heureux, les stéréotypes sur lesquels se fondent ces demandes m'auront permis de redécouvrir la culture chinoise sous des angles nouveaux. Mes amis cinéphiles m’auront familiarisée avec certains des plus beaux chefs-d’œuvre asiatiques ; mes amis gourmets, avec les thés les plus fins ; mes amis artistes, avec la nouvelle scène contemporaine. Leurs questions naïves et leur curiosité bienveillante m'auront fait progresser malgré eux dans ma connaissance des cultures asiatiques et encouragé dans mes explorations sinophiles.
Alors finalement, autant en profiter. La chance de bénéficier de toutes ces perspectives n'est pas offerte au tout venant. À mon tour, je me ferai relais de ces apprentissages auprès de ceux soucieux de s’en enrichir. Qu’importent nos origines. Dans un cercle vertueux de partage, nous contribuons chacun par nos questions et nos invitations, à rendre les multiples cultures disponibles, les différents regards intelligibles et bien sûr les meilleures adresses accessibles. Alors, malgré ma peur de confirmer le cliché, je consentirai la plupart du temps à répondre. Et un peu fière d’être celle que l’on aime solliciter, je finirai par rajouter: “Au fait, je t’ai déjà parlé des meilleurs dim sum de la capitale?”.
Découvrez “Tout Ce Que Nous Sommes”, la version papier du blog “Enfant d’Immigrés”, assortie des magnifiques illustrations de la talentueuse Marine Barbaud.
Le livre est vendu à 29€ TTC – pour le commander, envoyez un mail à toutcequenoussommes@gmail.com en précisant le nombre d'exemplaires souhaités et le mode de livraison !
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