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Au téléphone, Paris 2015
— J’adore la Chine, j’ai toujours été fasciné par la Chine !
— Ah oui ? Tu dois connaître le pays mieux que moi dans ce cas !
— J’adore François Cheng. Tu as lu ?
— Oui, quelques uns de ses ouvrages…
— J’ai tout lu de lui. Formidable ! Tu as tellement de chance ! J’aurais rêvé avoir deux cultures. Tu es plutôt confucéenne ou taoïste ? Et le bouddhisme, ça te parle ? Ça a une influence sur ta vie ?
— Disons que j’ai plutôt élevée dans le confucianisme mais que ….
— Ah je m’en doutais ! J’adore la Chine. Vraiment. Beau pays ! Maintenant, je peux dire que j’ai une amie Chinoise en plus !
En héritant d’un faciès étranger, c’est en fait d’un ensemble de présuppositions et de raccourcis dont je suis affublée. Selon la pertinence des remarques et la véhémence des propos, l’automatisme déclenché provoquera un agacement plus ou moins prononcé. Parmi les plus notables, on soulèvera notamment le trop fameux échange : « Tu viens d’où ? », « De France, mais mes parents sont nés au Cambodge », « Ah, génial ! J’adore la Thaïlande ! ». Fameux, donc.
Il n’est pas question ici de se formaliser des maladresses. Simplement, je m’interroge sur ce qui réellement motive ce type d’accroches. Il arrive que derrière cette curiosité feinte, se cache le souhait mal dissimulé de faire valoir ses savoirs - et ce, quel qu’en soit leur intérêt. Ce que l’on perçoit de moi lors de ces échanges, c’est la possibilité d’une audience captive à toute expérience asiatique. Me voilà astreinte à entretenir une série de conversations, toutes aussi fameuses les unes que les autres.
Les mêmes questions peuvent signifier une volonté d’ouverture ou à l’inverse, sceller les clichés les plus tenaces. Et quand bien même ces derniers seraient d’une nature favorable, ils n’en restent pas moins désagréables. Il ne m’est pas particulièrement intéressant de savoir que l’amie Vietnamienne du docteur est une génie des mathématiques, ni que le garçon d’hôtel Thaïlandais rencontré cet été, d’une gentillesse extraordinaire. Non, vraiment, cela m’importe peu. Distinguer le souhait sincère de partage, du désir d’auto-complaisance n’est pas chose aisée. Et ce, aussi bien pour celui qui l'émet, que pour celui qui le reçoit.
Quand elles ne servent pas la démonstration d’une supposée érudition, les questions prendront parfois des airs de défis. Mes origines chinoises sont censées faire de moi la représentante politique d’une posture potentiellement antagoniste aux préceptes occidentaux. Il s’agit de mettre nos divergences au coeur du débat et d’attester sur la base de ces désaccords, le bien-fondé de la mise à distance. Mais, non. Je ne souhaite pas m’engager dans un débat autour du Tibet. Ni me prononcer sur qui du Chrétien ou du Bouddhiste sera le mieux récompensé. Vraiment, ces débats ont peu de chance de favoriser un enrichissement, encore moins de susciter un rapprochement.
Malgré toutes les menaces qui planent sur ces discussions, je persiste à croire que le constat objectif de nos différences ne préfigure pas nécessairement d’échanges ratés et que nous perdrions davantage à passer nos spécificités sous silence, qu'à s'y essayer. Chaque rencontre peut-être l’occasion d’en apprendre un peu plus sur l’autre et sur ce qui ensemble nous relie. Pour maximiser nos chances de réussite, on passera outre les approximations de géographie et les tensions géopolitiques, les luttes d’ego et les fiertés déplacées. Et alors peut-être, avec un peu d’envie et un zeste de magie, l’exotisme fera place au pluralisme, le fameux au fabuleux.
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