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Au restaurant, Paris, 2018
— So, which part of China are you from?
— Well you know, I was born in France. But my family comes from Guangzhou province. What about you?
— From Xi’An. Have you been there?
— Yes I love this city ! It’s full of wonders!
— Thanks ! Please come and visit me next time you come to China! I will take you to the best restaurants, for sure ! Which city are your parents from, precisely?
— Actually, they were born in Cambodia, in Phnom Penh, but they always felt more Chinese than Cambodian.
— Hahaha, no wonder!
— ...?
— No matter the country you were born in or you live in. Being Chinese is more than a mere location. It’s about the culture. Even though they have been in France for so many years, they will always stay Chinese. And so will you.
Il fallut que ce soit une Chinoise encore inconnue la veille, qui me le rappelle. On ne quitte pas la culture chinoise comme on quitte un pays. Venir de Chine signifie lui appartenir. Que je le veuille ou non, je lui reste malgré les exils, fondamentalement attachée. Les racines qui me relient à ce pays me dotent automatiquement d’un ensemble de droits et de devoirs qui leurs sont associés. Parmi les droits, celui de pouvoir nouer en presque rien une connivence avec les membres de la communauté et celui (ô combien précieux) d’être invitée aux meilleures tables locales. Parmi les devoirs, celui de respecter la Chine, de l’aimer même, et celui de parler mandarin. Des devoirs qu’il faut respecter, quand bien même on a quitté le pays et que l’on a décidé, bon gré, mal gré, de faire sa vie ailleurs.
Ces préceptes, mes parents les ont largement fait leurs. Définissant notre famille comme chinoise avant tout, ils ont d’ailleurs toujours vu d’un oeil intrigué l’intérêt que je portais au pays qui les a vu naître : le Cambodge. Leur passage éphémère par ce pays, aussi long et douloureux fut-il, ne justifierait pas que je m’y intéresse outre mesure. Chez eux, on parlera donc chinois plutôt que khmer, on mangera chinois plutôt que cambodgien et on lira les journaux chinois. Mais qu’en est-il chez moi? Chez moi, on parle français, on mange français et on lit les journaux français. Il semblerait que le lien avec le pays perdu s’étiole, au fur et à mesure que le temps d’éloignement se prolonge.
Une mise à distance pas tant voulue que subie, que les Chinois, “les vrais”, ne manquent pourtant pas de souligner, à chaque fois qu’ils me rencontrent. J’aurais beau leur dire que je suis née en France et que mes parents eux-mêmes ne sont pas nés en Chine, rien ne m’excusera réellement de cet affront que je semble leur porter en leur parlant anglais, plutôt que mandarin. Ce n’est pas tant que j’ai oublié la langue. Je ne l’ai simplement jamais parlée. Il aurait fallu qu’on me l’apprenne ou qu’on m’incite à l’apprendre, pour que je puisse aujourd’hui répondre à mon devoir de diaspora. Mais ça, ce n’est pas vraiment leur problème. Les moyens mis en oeuvre pour assurer cette transmission ne sont pour eux que des détails insignifiants d’une démarche fondamentale et prioritaire. Mon héritage génétique était censé me donner les bases de la culture et de la langue, que quelques efforts auraient suffi à réactiver. Mais le constat est sans appel : je ne parle pas mandarin et ça, ça ne peut que vouloir dire que je n’y ai pas mis du mien.
Alors que je m'efforce de prouver le caractère injuste de ces accusations, le doute en moi s’insinue. Je ne saurais dire si mon argumentaire traduit une colère que je juge bien fondée ou s'il n’est qu’une excuse pour justifier mes lacunes. Je suis sûre en revanche de ne plus vouloir subir ces reproches. Que cela implique que je me mette sérieusement au mandarin ou bien que je m’immunise durablement contre ces critiques, cela reste encore à voir.
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