Chapitre 7 : Langue Maternelle

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À un mariage d’amis, Bordeaux, 2014

— Bonjour Mademoiselle !

— Bonjour !

— Votre êtes ravissante dans cette robe !

— Merci ! Je vous retourne le compliment : vous êtes très élégant dans ce costume ! Êtes-vous de la famille des mariés ?

— Oui : le grand-oncle de la mariée. Nous sommes venus en nombre pour l’événement ! Quel heureux chemin vous a amenée à faire leur connaissance ?

— Je suis la compagne d’un de leurs très bons amis.

— Ah, très bien ! En tout cas, je tiens à vous féliciter pour votre français. Il est très bon. Vous n’avez pas d’accent.

— Oh…sans doute parce que j’ai appris en France …. et que c’est ma langue maternelle. Cela doit aider.

* * *

Si vous entendez deux Chinois discuter dans le 13e arrondissement de Paris, il s’agit probablement du teochew, un dialecte issu de la région de Canton que j'ai longtemps considéré être ma langue maternelle - du moins l’une d’entre elles. La notion de langue maternelle énoncée au singulier m’a toujours paru ambivalente, difficilement appropriable. S’agit-il de la langue apprise à la naissance? Désigne-t-elle la langue parlée par la mère? Est-ce la langue apprise à l’école? La langue dans laquelle on s’exprime avec le plus de facilité? La langue dans laquelle nous pensons? Celle dans laquelle nous rêvons?

Dans mon cas, deux langues pourraient concourir à ce titre: le teochew et le français. Toutes deux sont constitutives de mon enfance, comme de mon quotidien. Lors de nos échanges, ma mère n’use que de la première, tandis que mon père n’a recours qu’à la seconde. Ma grand-mère, qui affichait sans pudeur sa préférence pour la descendance masculine, ne me parlait tout simplement pas. Sa présence au sein du domicile familial était pourtant la raison principale pour laquelle le teochew, seule langue qu’elle maîtrisait, avait été érigée comme langue asiatique principale. De manière assez ironique, ma capacité à parler cette langue a donc été motivée par la possibilité de tenir une conversation avec une personne qui elle, ne le souhaitait pas en retour... Quoiqu'il en soit, si la langue maternelle est celle du domicile familial, je peux affirmer en avoir non pas une, mais bien deux. Si l'adjectif s'appose en revanche à la langue la plus maîtrisée, le constat est alors bien différent.  

L'obligation de me tenir prête à l'éventualité d'une discussion en teochew disparut avec ma grand-mère. À sa mort, je perdis progressivement l’usage parlé de la langue. L’environnement scolaire, qui ne laissait véritablement de place qu’au français, accéléra mon processus d’abandon. Au fil des années, je me suis conformée à ce modèle républicain, qui oeuvre davantage à la maîtrise de la langue française qu’à la sauvegarde du multilinguisme. Loin d’être reconnue et encouragée, la diversité culturelle et linguistique des élèves était alors mise en second plan, comme si elle représentait un éventuel obstacle à la bonne intégration de ceux qui à mon image, l’incarnaient. Ce qu’on aime traditionnellement faire valoir chez les adultes comme un atout était largement considéré chez les enfants comme un danger potentiel et se trouvait ainsi exclu du cadre éducatif public. La préservation de ces héritages relevait des responsabilités de la seule sphère familiale, qui devait veiller à ce que cohabitent harmonieusement ce mélange de cultures, sans que cela menace le socle républicain. Peut-être un atout pour la cohésion du territoire, mais plus probablement un risque de perte sèche pour tous les enfants d’immigrés et pour la diversité de nos sociétés.

C’est en tout cas avec une certaine facilité que mes parents se sont appropriés cette vision de l'École - celle dans laquelle elle doit servir la francisation, plutôt que l’accueil et la valorisation des différences. L’enjeu premier était de me garantir une place dans ce nouveau pays qui, à défaut de devenir complètement le leur, devait a minima devenir le mien. Et pour cela, ils en étaient convaincus, il me faudra me fondre autant que possible dans la majorité francophone. Pour parfaire notre intégration, et peut-être par excès de zèle, mon père décida d’étendre cette stratégie linguistique jusqu’au sein du foyer familial, empêchant ainsi la sphère privée de garantir la continuité culturelle. À la maison, comme en dehors, il choisit le français comme langue principale d’interaction et ce au détriment de sa propre langue natale, sacrifiant de fait une partie essentielle de son identité. Désormais, la langue paternelle sera le français.

Par peur de le décevoir et un peu par facilité, je me suis attachée à jouer mon rôle avec soin et assiduité. Au fur et à mesure de mon intégration, ma langue paternelle - le français, s’est ainsi progressivement substituée à ma langue maternelle - le teochew. À ma mère qui continuait à me parler en chinois, je me mis à répondre de plus en plus fréquemment en français. Ma maîtrise de la langue républicaine a eu pour corollaires directs la perte de la langue familiale et la dégradation fulgurante de mon bilinguisme originel. Le substitut d’une langue par l’autre semblait prouver qu’une intégration réussie devait nécessairement se doubler d’un effacement partiel de ses origines passées, et ce dans la sphère publique comme dans la sphère privée.

Le prix à payer de cette stratégie fut bien élevé. Je n'avais pas simplement perdu l'usage d'une langue. Je m'étais privée d'une partie fondamentale de mon héritage et de la possibilité de communiquer de manière fluide avec les membres de ma propre famille, à commencer par ma mère et dans une moindre mesure, mon père.

À l’inverse, je ne saurai qualifier avec précision, l’avantage d’intégration que m’a conféré la prédominance de la langue française dans mon quotidien. Il est vrai que mon français ne souffre aujourd’hui d’aucun accent, si ce n’est celui de la parisienne. Au téléphone, par lettre, par mail, par texto, tout le monde s’y tromperait. Seuls mes yeux bridés et ma teinte couleur soleil trahiront de prime abord l’existence d’un passé immigré. Malgré tout, mon niveau linguistique ne suffira pas à gommer les préjugés et les a priori dont je serai probablement toujours affublée. Les attitudes auxquelles je dois faire face malgré trente ans de pratique quotidienne créent une amertume d’autant plus grande, qu’elle ne peut se consoler de la maîtrise avancée d’autres langues. Le sacrifice culturel auquel ma famille s’est livrée presque malgré elle se trouve lors de ces situations très mal récompensé.

Si « maternelle » qualifie la langue que l’on maîtrise le mieux, je ne serais donc plus en mesure de l’apposer à la langue dont ma mère use pour me parler, ni à la première langue que j’ai comprise. Pour éviter toute ambiguïté seront donc inscrits sur mon CV : « français natif », « teochew conversationnel ». En société – lors d’un cocktail de mariage trop pincé par exemple – on préférera un raccourci commun : « le français, ma langue maternelle ». Il semblerait de toute façon que certains interlocuteurs ne soient pas à une approximation près.



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Zhe Ling / 薛之琳

32 ans. 3 cultures. 2 nationalités. 1 recueil. Sa vie est à l’image de ces chroniques. Bâtarde et en cours de réalisation.
À propos de l’autrice